J'aimerais témoigner aujourd'hui de ce qu'est la dépression, même si on ne le voit pas toujours.

Maintenant, je sais. Je sais que ma mère faisait un profonde dépression, mon père aussi, mon homme.

Je me souviens d'un ami qui m'avait dit, il y a longtemps, quelque chose qui m'avait marqué:

"- Le pire, c'est le matin, quand tu te lèves".

Il n'était pas spécifiquement connu pour être en déprime. "Penseur", sans doute. Chercheur, sondeur. On va dire "en conscience".

Le matin? m'étais-je dit. Mais quelle horreur de se réveiller le matin, et la première chose qu'on sent, c'est qu'on est mal.

Et bien la dépression, ça ressemble à ça.

On se réveille le matin, déjà habité par l'angoisse, si je puis dire. Du vide, du profond vide.

On peut être soutenu dans la dépression, mais je crois que personne ne peut nous enlever ce sentiment, ce vide.

Vide d'avoir perdu une personne qu'on aimait, vide de ne plus être reconnu, de ne pas avoir de travail, d'être accusé à tort, de ne pas être compris, d'avoir l'impression d'être seul, si seul dans ce monde où tout le monde avance, sauf nous. Je ne peux répertorier toutes les raisons qui peuvent engendrer et alimenter une profonde déprime. Parfois, ça peut remonter à loin, et ça rend notre comportement encore plus incompréhensible pour les autres.

La dépression empêche de "bouger", de bouger de l'intérieur. Elle peut faire peur aussi, aux gens: on est insaisissables, hors norme, comme court-circuités. Faire peur à nous-mêmes: où est le bout du tunnel?

La dépression empêche de se laver. Je me suis demandée pourquoi. Je crois que la réponse est : parce-qu'on n'a plus le goût. Qu'est-ce que ça veut dire? Je ne sais pas. C'est ce qui me vient.

La dépression ressemble à une profonde tristesse, insondable, ou une mélancolie, un découragement. Elle fait pleurer, beaucoup, elle fait dormir, elle fait avoir des comportements sociaux anormaux. La dépression affaiblit et rend vulnérable par rapport aux attaques des autres. Et même ceux qui ne voudraient pas profiter de votre faiblesse en profitent quand même: c'est animal.

Si vous êtes dans la dépression, il faut vous entourer de gens qui sont dans l'amour. Vraiment dans l'amour. Pas ceux qui sont une fois dans l'amour, une fois dans le reproche, une fois dans la demande affective.

On repère les gens qui sont dans l'amour à leur stabilité, à leur discrétion, à leur non-jugement intérieur. Une vraie bénédiction pour ceux qui ont de telles personnes dans leur entourage.

Pour les autres, si vous sentez que votre entourage peut être factice, alors mieux vaut être seul. Ce qui rend la sortie de dépression encore plus dure, mais peut peut-être vous faire sortir encore plus "grandis", à la fin.

La dépression, évolue par phase. On est très sensible à son entourage, parce-qu'on est perdu, sans repère. Je pense que c'est la première stade de la déprime: la perte de repères.

Le monde peut n'avoir pas bougé autour de nous, mais quelque chose s'est effondré en nous. Bien souvent: notre image de nous-mêmes.

Je crois que je peux comprendre les gens qui se suicident, même si je ne peux ressentir ça moi-même. Je peux certainement comprendre le chauffeur de bus qui prend son flingue et tire sur les petits (d'ailleurs, maintenant, que j'y pense, je suis sûre que beaucoup de professeurs peuvent comprendre ça). Le suicide vient pour moi, principalement du fait d'être ignorés (quand on est au départ en bonne santé, car la souffrance physique peut aussi amener au suicide, je pense).

Le chauffeur tire sur les petits, car il n'a cessé de demander le silence. Le bruit, quand on va mal, est une véritable torture. Pas une excuse, une torture.

La déprime est une drôle de chose, car elle est insidieuse, pour nous, d'abord: on ne la voit pas venir souvent. Et pour les autres, qui ne comprennent absolument pas notre état de léthargie.

Je pense que toutes les formes de drogue doivent être les bienvenues dans ces cas-là: drogues douces, fortes, alcool, sucre, café, sexe. La dépendance est ce qu'il nous reste, semble-t-il. Quelle est la votre?

J'allais oublier le chocolat, et la télé. Le sport. Les médocs.

Pas besoin d'être dépressif pour être dépendant, mais la dépendance fait partie de la dépression.

L'isolement aussi.

Et la honte. Parle-t-on jamais de la honte de la dépression? On croit qu'en en parle de la dépression, mais en fait, c'est tabou. On peut dire, oui en effet, je suis en arrêt pour burn out, fatigue morale, ou même dépression. Mais les gens qui nous regardent vivre, comme ça, majoritairement nous juge. Ils attendent qu'on se relève, nous compare à eux, à "ce qu'il ferait à notre place". Eux qui n'ont peut-être pas le courage d'être en dépression.

A tous ceux qui entrent en dépression, à ceux qui y sont perdus actuellement, à ceux qui pensent avoir tout essayé en vain, je dis: vous pouvez en sortir. C'est noir, c'est nouveau, c'est hallucinant de flippe précisément parce-que c'est nouveau (pas répertorié dans nos livres à l'école, dans nos statuts dans les papiers administratifs - célibataires, mariés, dépressifs), mais c'est cohérent: c'est une réaction d'humanité à notre temps.

Être en dépression est une réflexe boomerang de notre individualité.

La dépression est longue, parfois fatale, dure, si dure, mais c'est un test: sommes-nous dignes de notre humanité?

Et la réponse est oui.

Il faut juste voir les choses différemment.Et c'est précisément l'opportunité qui nous est offerte, ici.

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